Sod
Dans cette série, mon mode opératoire est toujours le même. Je commence par mettre en confrontation plusieurs sources iconographiques précisemment choisies, dont les origines et les identités sont éloignées (par exemple, une scultpure de Camille Claudel, une vue d’exposition contemporaine, un cactus de mon atelier). Ces formes, je les reprends avec plus ou moins de fidélité. Cette copie non conforme permet de les comprendre et d’introduire une dialectique. Je situe ainsi mon travail dans une communauté d’artistes d’horizons et d’époques extrêmement différent. La mise en scène fait partie intégrante du travail, elle réactive ces ruptures de style et de genres et pointe du doigts la charge narrative des oeuvres. Les mises en scènes étranges qui en résultent sont chargées de symbolique et de connotations, décors destinés à incarner la projection du spectateur.
Le nom de la série «sod» signifie «secret» en hébreu.
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« Sarim » (ministres en hébreu) appartient à la série « Sod » (secret en hébreu). Dans son sens le plus ancien, un secret est ce qui se met à part du reste.
Il s’agit d’une peinture sur tapisserie, représentant initialement une scène de genre: trois hommes au retour de la chasse, se reposent au coin du feu dans une maison rustique et chargée d’objets, bibelots, textures et détails en tout genre. L’atmosphère de ce type de tapisserie amène des couleurs ocres-marron sombres et désaturées.
J’ai choisi de révéler, en recouvrant et modifiant des éléments, une tout autre histoire: trois femmes (ou androgynes) anonymes, quasi dévêtues, discutent en fumant dans un décor suspendu entre science-fiction et kitsch contemporain. L’information est ramenée à son essentiel, les couleurs monochromes en quantité réduite.
Seul reste d’origine le petit tabouret, se détachant du reste.
Ce geste fait référence à la tentation du shalom, tentation de la complétude, selon laquelle il est dangereux d’avoir la perfection comme horizon. Souhaiter que son propre « système de vie » ou « idéal » soit hermétique, intègre, d’origine, complet et sans cassure relève de l’impossible. Il y a toujours quelque chose qui se soustrait, quelque chose en moins, un à côté, un dysfonctionnement. C’est l’image du petit pan de mur non terminé quand on construit une maison, symbole de l’acceptation de l’incomplétude du monde. C’est aussi la raison pour laquelle on ne mange jamais tout dans le fruit : restent la peau, les pépins ou le noyau, traces du manque dans notre univers. Ainsi soit le petit tabouret.
La technologie a modifié le rôle de l’artiste; elle se charge de représenter et diffuser notre société telle qu’elle est. Alors pour éviter de paraphraser en étant qu’un miroir supplémentaire, mon choix est de jouer le rôle de metteur en scène, avec ce besoin d’imaginer, d’être à nouveau remplie par l’histoire de lieux ou objets du passé.
Ces mises en scène réactivent ces ruptures de style et de genres et pointent du doigts la charge narrative des oeuvres. Les confrontations étranges qui en résultent sont chargées de symbolique et de connotations parfois involontaires.
Je me pose également la question de l’économie de moyens: comment faire avec peu et avec ce que je récupère? Donner une seconde chance à des objets dont d’autres se sont débarrassés, comme les vieilles tapisseries sans valeur apparente.
Pour moi, chaque tableau est un monde. Chaque tableau est une recherche constante de nouveaux systèmes de peinture et de nouveaux registres.
Dans le tableau « Sarim », tant mieux si on ne sait pas où on se situe ni à quel moment on est. Je ne reproduis pas un environnement, le lieu est théâtralisé et constitué de sa propre artificialité, dont l’illusion dissipe la réalité.