Archeology

L’aspect énigmatique des choses domine mon discours à travers une certaine retenue des images, afin que tout ne se livre pas immédiatement. Il y a un temps de montée à la vue – figuration contrariée – quelque chose qui échappe, malgré un sujet qui s’impose en moi, entre intuition et nécessité.

En 2013, au Centre Pompidou, une oeuvre d’art de Pierre Huyghe m’avait frappée: un petit trou des strates du temps.

→Comme une ville se construit sur d’anciennes fondations s’adaptant à ce qui préexiste, Pierre Huyghe joue avec les vestiges de ce passé proche. Ce rapport au temps transforme l’espace d’exposition qui n’est plus un endroit sans identité, comme neuf à chaque proposition. L’installation Timekeeper, 1999, s’ancre dans ces traces. Littéralement Timekeeper signifie « conserver le temps ». Comme sur un site archéologique, la surface picturale a été poncée, permettant de rendre apparentes les différentes couches de peinture appliquées au fil du temps, révélant l’histoire du lieu à l’instar des strates géologiques. Tels des anneaux de croissance d’un arbre, l’image prend une allure organique alors qu’elle résulte des traces muséographiques du passé.

Ma démarche s’inscrit dans cette même volonté. Seulement, les strates de passé révélées peuvent être personnelles et récentes, dans le cas de cette série Archeology, ou bien appartenir à d’autres artistes que je viens recouvrir en partie, et dont la date de réalisation est largement antérieure mais inconnue, comme dans la série des Tapisseries.


Nous avons souvent la complétude pour horizon, mais c’est impossible de l’obtenir. Nous appelons cette tentative : la tentation du Shalom. En fait, il y a toujours quelque chose qui se soustrait – il faut garder conscience qu’il y a toujours un « en moins » dans le système, un « à côté ». Par exemple, lorsque l’on construit une maison, il faut toujours laisser 1m carré non fini, non peint, en témoignage de l’acceptation de la non finitude des choses. Ce qui est souvent source de violence, c’est de croire que tout est parfait, comme si on pouvait habiter ce monde avec une maison déjà construite et un livre déjà écrit, sans cassure, sans brèche, sans manque. Or, il faut que quelque chose manque, ait été retiré, que l’homme soit en peine, en recherche, pour qu’il sorte de sa suffisance, pour qu’il tende à compléter son être. Sans soustraction, sans particularisme, le monde ne peut pas exister.

« L’inachevé est la porte d’accès secrète. Si je m’engage dans une certitude, j’échoue lamentablement » Fabienne Verdier

« On est jamais arrivés, on est toujours en chemin »

En découle le tikkoun olam, en hébreu : תיקון עולם, « réparation du monde », qui est un concept issu de la philosophie et de la littérature juive. Dieu a créé le monde incomplet et l’homme doit le compléter. Aussi l’inspire-t-il dans cette réalisation, dont le but lui échappe.

Pour moi le tikkoun se révèle de cette façon : répondre à quelque chose de plus ancien que moi, me retrouvant face à une responsabilité originelle.


The shelter

Dans l’immédiat, il s’agirait d’une petite pièce intime et basse de plafond, type grotte, dans laquelle on circule dans l’obscurité à l’éclairage d’une bougie, et sur les parois arrondies, type troglodyte, desquelles on peut admirer de mystiques et naïves peintures à l’oeuf sur surface type calcaire, entre peinture pariétale et médiévale. 

Je produis du dessin et de la peinture d’histoire personnelle à travers l’histoire des autres hommes, qui m’ont précédés ou qui m’entourent. Ainsi la question du voyage, au sens de confrontation, de documentation et de rencontre, est primordial dans mon travail. Parmi tous les lieux « saints » traversés, l’un d’eux, un monastère creusé dans une falaise blanche en Russie, m’a marquée profondément (Belogorie Kostomarovo Monaster, Voronej). J’ai circulé dans un dédale labyrinthique vertical et horizontal, garni d’alcôves et d’icônes orthodoxes mal éclairées dans des renfoncements. J’ai pensé à la Cité des Immortels décrite par J.Borges dans l’Aleph, mais pour moi il y a aussi un peu du Joueur d’Echec de Zweig, avec l’idée de la prison, ou bien, vu sous un autre angle, du centre de repos. Un endroit où il est conseillé de passer un long moment, à scruter chaque détail, au risque de rater l’essentiel. Une espace pour tout rassembler, à travers le filtre de mes absorptions, et tenter une reconstitution approximative mais légitime de la diversité pluri-culturelle dont je suis issue. Opérer des distinctions mais ne pas limiter mon identité à des frontières strictes, mais remuer sans cesse, chercher et questionner.

Ezuz, Oil on canvas, 100x80cm, 2019
(Religieuses à Tel Aviv) דתיות בתל אביב, Oil on canvas, 24x30cm, 2019
Fig Tree, Oil on canvas, 24x30cm, 2019
Calypso, Oil on wood, 30x45cm, 2019
Bredene, Moroccan pigments and vinylic painting on wood, 50x35cm, 2019
Georgian wolf, Oil on canvas, 40x40cm, 2019
Babel 1, Oil and Acrylic on canvas, 33x41cm, 2019
Antoine, Vinylic painting and oil on canvas, 33x41cm, 2019
Jane de Jerusalam, Vinylic painting on canvas, 33x41cm, 2019