Angkor 1

Texte : Poème de Victor Hugo

Photographies : Temples d’Angkor, Cambodge, Janvier 2017

Homme, contente-toi de cette soif béante ;
Mais ne dirige pas vers Dieu ta faculté D’inventer de la peur et de l’iniquité,
Tes catéchismes fous, tes korans, tes grammaires,
Et ton outil sinistre
à forger des chimères.
Un centre de lumière inaccessible est là.
Hors de toi
comme en toi
cela brille et brilla ;
C’est là-bas, tout au fond, en haut du précipice. Cette clarté toujours jeune, toujours propice,
Jamais ne s’interrompt et ne pâlit jamais ; Elle sort des noirceurs, elle éclate aux sommets ;
Elle fait cette chose inouïe,
elle éclaire.
Tu ne l’éteindrais pas si tu la blasphémais ; Elle inspirait Orphée, elle échauffait Hermès ; Elle est le formidable et tranquille prodige ; L’oiseau l’a dans son nid, l’arbre l’a dans sa tige ;
Tout la possède, et rien ne pourrait la saisir ;
Elle s’offre immobile à l’éternel désir,
Et toujours se refuse
et sans cesse se donne ;
C’est l’évidence énorme et simple qui pardonne ;
C’est l’inondation des rayons, s’épanchant En astres dans un ciel, en roses dans un champ ; C’est, ici, là, partout, en haut, en bas, sans trêve, Hier, aujourd’hui, demain, sur le fait, sur le rêve,
Sur le fourmillement des lueurs et des voix, Sur tous les horizons de l’abîme à la fois,
Sur le firmament bleu, sur l’ombre inassouvie,
Sur l’être, le déluge immense de la vie !
C’est l’éblouissement auquel le regard croit. De ce flamboiement naît le vrai, le bien, le droit ; Il luit mystérieux dans un tourbillon d’astres ; Les brumes, les noirceurs, les fléaux, les désastres Fondent à sa chaleur démesurée, en tout En sève, en joie, en gloire, en amour, se dissout ;
S’il est des coeurs puissants, s’il est des âmes fermes,
Cela vient du torrent des souffles et des germes
Qui tombe à flots, jaillit, coule, et, de toutes parts, Sort de ce feu vivant sur nos têtes épars. Il est ! il est ! Regarde, âme. Il a son solstice, La Conscience ; il a son axe, la Justice ;
Il a son équinoxe, et c’est l’Egalité ;
Il a sa vaste aurore, et c’est la Liberté.
Son rayon dore en nous ce que l’âme imagine. Il est ! il est ! il est ! sans fin, sans origine, Sans éclipse, sans nuit, sans repos, sans sommeil. Renonce, ver de terre, à créer le soleil.