Le Dépeupleur
J’ai adoré la lecture à voix haute. Ca m’a ramené à mon enfance, quand j’écoutais les conteurs dans les bibliothèques. L’atmosphère était particulière ; planante, mystérieuse, troublante.
A partir de ce moment là, j’ai fait le choix de ne « lire » le livre qu’avec les oreilles. J’avais enregistré la séance de lecture avec mon dictaphone, et je ne me suis plus servie que de ce dernier. Pour une pénétration encore plus irrégulière, incontrôlable et hasardeuse.
Chaque fois que je travaillais, je cliquais sur play, et j’écoutais en même temps que je dessinais, notant des bribes de phrases à la volée.
De cette manière, j’ai pu me détacher de toute analyse ou attention trop léchée. Je laissais le texte aller et venir, entrer en moi comme il l’entendait. Mon inconscient était à la première loge. J’évitais le premier degré. Je recherchais la métaphore, la mise en abîme.
Je me voyais moi-même entrain de raconter cette histoire à quelqu’un d’autre, dans diverses situations. Je l’ai alors représenté en bleu. Le bleu étant l’équivalent de la réalité, mais la réalité vue par Beckett. Le noir serait alors ce qui est dit, ce qui se raconte, ce que l’on écoute. Comme si nous seuls, êtres bleus, dans nos conversations, choisissions la couleur de nos mots, des images dans nos têtes. L’histoire prenant un ton plutôt austère et pessimiste, j’ai choisi de finir sur l’envahissement de cette couleur tout entière. On ne broie alors plus que du noir.
Aussi, au niveau des techniques, le fusain noir va exprimer la sécheresse, la brutalité, l’inhumanité (son évanescence représente l’immatérialité des conversations) tandis que le pastel gras bleu va exprimer la chaleur, la douceur, la fluidité, la stabilité.
Je me suis appropriée la nouvelle de Beckett, en la dégustant, la mâchant, la recrachant sous une autre forme. Je pense que les interprétations peuvent être aussi nombreuses que le nombre de sédentaires aujourd’hui sur cette planète. J’ai donc tenté d’échapper au politiquement correct, aux préjugés, aux habitudes. Faire du Dépeupleur un carrefour entre plusieurs niveaux de perception.
2015